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Bribes de rêve L'idée du thème de cette page provient de dessins de J.J. Grandville parus dans le Magasin Pittoresque que je compulsais pour retrouver des gravures sur Troyes, ville sur laquelle je travaillais pour mon site des Visites photographiques. Les deux dessins de Grandville réalisé peu avant sa mort sont reproduits ci-dessous. Du coup j'ai regarder ce qui, dans mon fonds de photos, pouvait se rattacher au rêve. Donc peu d'illustrations pour encadrer les gravures de Grandville. Mais de longs texte de l'auteur lui-même, écrit donc quelques jours avant sa mort. Dans cet envoi qu'il fit sentait-il que lui-même passerait sous peu dans le grand rêve de l'Histoire des Hommes ?
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DEUX RÊVES, PAR J.-J. GRANDVILLE.
PREMIÈRE LETTRE DE GRANDVILLE AU RÉDACTEUR. Mon ami, voici le premier des deux dessins que je vous ai annoncés, et quelques lignes d’explication dont vous ferez tel usage qu’il vous plaira. Après avoir averti les lecteurs que le dessin doit être regardé en commençant au haut de la page, et en suivant la ligne descendante des diverses figures jusqu’à l’extrémité inférieure où se termine le rêve, vous pourriez expliquer à peu près ainsi le premier sujet : Crime et expiation. Il rêve qu’il vient de frapper un homme dans un bois sombre, sur une route déserte, près d’une croix indiquant qu’un crime a déjà été commis en ce lieu... Le sang humain a été répandu, et, suivant une expression d’argot qui présente à l’esprit une féroce image, « il a fait suer un chêne ! » En effet : ce n’est pas un homme, c’est un tronc d’arbre... sanglant... qui s’agite et se débat... sous l’arme meurtrière. Les mains de la victime, mains toujours humaines, sont levées suppliantes, mais en vain ! Le sang coule toujours. Vous pourriez ensuite indiquer aux lecteurs de ces déformations et réformations des signes, l’art de ces transitions se succédant toujours parallèlement à un sens moral ; double difficulté qui, si elle étonne par un peu d’étrangeté et de bizarrerie, me semble cependant de nature à intéresser les personnes à imagination rêveuse ou qui aiment la nouveauté, et, pour ainsi dire, les tours de force de l’esprit. Après ces éloges que je me donne, et que vous pourrez me renvoyer, il me restera à vous écrire l’explication du second rêve qui, grâce à celle du premier, sera, je pense, très courte. J.-J. Grandville. ********************************************************************************************
SECONDE LETTRE.
Pour notre second dessin, l’explication ne me parait pas facile, par suite du peu de liaison qu’il y a entre ces objets de nature si diverse, et aussi par suite de l’absence d’une idée morale soutenue du commencement à la fin, comme dans le dessin précédent. Promenade dans le ciel. Dans un doux songe qui la berce, elle aperçoit derrière un pâle nuage le croissant argenté (à son premier ou dernier quartier ou octant). Tout à coup le croissant se transfigure en la simple forme d’un humble cryptogame... puis d’une plante ombellifère... à laquelle succède une ombrelle, qui va se transformer en une orfraie ou chauve-souris aux ailes étendues et dentelées... Notre rêveuse ne mêle-t-elle pas ensemble ses achats du marché avec les souvenirs d’une promenade en plein champ, où elle aura rencontré le vénéneux champignon et cet arbuste en forme de parasol ; avec les souvenirs de l’astre argenté qu’elle a contemplé le soir d’une belle journée d’été, tandis qu’elle voyait voltiger devant elle une chauve-souris ; ou bien encore avec l’ombrelle qui lui avait servi à se garantir des feux du soleil couchant, et qu’elle agita pour chasser l’oiseau nocturne ? À mon avis, on ne rêve aucun objet dont l’on n’ait eu la vue ou la pensée lorsque l’on était éveillé, et c’est l’amalgame de ces objets divers entrevus ou pensés, à des distances de temps souvent considérables, qui forme ces ensembles si étranges, si hétéroclites des songes, au gré d’ailleurs de l’activité plus ou moins grande de la circulation du sang. Donc je suppose que l’imagination de notre dame est un peu agitée en ce moment sous le regard flamboyant du sinistre oiseau... qui bientôt se décompose à son tour et devient un corps vague, mélange du volatile et d’un prosaïque soufflet, qui se rattache cependant toujours à la première idée du rêve en rappelant peut-être une fraîche brise qui aurait effleuré dans le jour notre tendre rêveuse, tendre ! car cette caresse du zéphyr évoque devant elle l’emblème un peu suranné, quoique au fond toujours agréable, de deux cœurs unis ou percés d’un trait. Mais cette double forme vaporeuse disparaît à son tour pour faire place à une bobine peu poétique autour de laquelle s’enroule un écheveau de fil fort mêlé... Un nouveau mouvement du sang au cerveau de notre dormeuse fait succéder à cet appareil de rotation un char rapide aux quatre roues scintillantes, entraîné par trois coursiers fougueux aux fronts étoilés. De ce char à la constellation brillante du chariot le songe n’a qu’un pas à faire. Voilà la rêveuse ramenée au ciel, au centre de la voûte immense, semée de millions d’astres qui vont se disséminant, s’évanouissant, s’éloignant de plus en plus comme le songe qui finit. Et la jeune dame s’éveille... en murmurant sans doute, comme vous peut-être et beaucoup d’autres ; « Quel rêve ridicule » Maintenant, mon ami, à vous la tâche de faire comprendre délicatement le peu que vaut ce petit tour de passe-passe à la fois étrange et amusant à l’œil (sinon à l’esprit). Invitez vos lecteurs à examiner quelques instants cette composition lentement de haut en bas, priez-les de tenir compte de la nouveauté et de la difficulté de celle succession de transitions harmonieuses de lignes et de formes. Cet effet me semble analogue à celui que produit un musicien qui, modulant d’abord dans un ton, après s’être amusé à passer par des successions d’accords et des préparations harmoniques, ramène son auditeur dans le ton du début, et lui fait éprouver ainsi une jouissance des plus agréables, très appréciée des fins dilettantes
J.- J. Grandville. Pour voir les détails de ces gravures sur le rêve
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