Article et gravures, extrait du dictionnaire d'Agriculture de 1892, de Barral et Sagnier
CHâTAIGNIER (sylviculture). — Le Châtaignier (Castanea vesca), de la famille des Cupulifères, est un grand arbre, à feuilles pétiolées, oblongues, acuminées, dentées ; fleurs mâles en longs chatons cylindriques ; fleurs femelles réunies par trois dans un involucre commun. Le fruit est renfermé dans une coque sphérique de consistance presque ligneuse, hérissée d’épines raides, contenant deux ou trois châtaignes dont une est souvent avortée.
Le Châtaignier, originaire de l’Europe méridionale, est cultivé pour ses fruits dans les Cévennes, le Dauphiné, le Périgord, la Provence, le Limousin, le plateau central, la Touraine et la Bretagne ; on l’y voit habituellement planté en bordure ou en ligne dans les pâtures et les champs. Greffé en couronne quelques années après sa plantation, il produit de vigoureuses pousses dont la fructification est améliorée par cette opération. Cependant la culture forestière utilise aussi cet arbre dans les régions moins tempérées, comme les Vosges et ’Alsace. A raison de sa prompte croissance, il est très propre au traitement en taillis. Nous donnerons plus loin quelques renseignements sur ce mode de culture.
Les sols qui conviennent au Châtaignier sont ceux où domine la silice. C’est dans les terrains sablonneux et granitiques qu’il prospère ; il ne réussit pas dans les terrains calcaires ou argileux. Il se plait sur les coteaux et les montagnes d’altitude moyenne, aux expositions de l’est et du sud-est. Comme les gelées printanières lui sont très nuisibles, il faut éviter de le placer dans les fonds humides. Le climat de la vigne est celui du Châtaignier. Cependant cet arbre prospère dans la Bretagne, quoique la vigne n’y soit pas cultivée. La douceur du climat de cette partie de la France explique cette anomalie.
Cet arbre, qui est, comme nous l’avons dit, originaire du midi de l’Europe, supporte mal les grands froids. Les hivers rigoureux de 1870-71 et de 1879-80 en ont fait périr un grand nombre, et beaucoup de ceux qui paraissaient avoir résisté à ces froids excessifs, succombent encore aujourd’hui (1885), Cette mortalité qu’on a attribuée à une maladie spéciale, n’a d’autre cause que l’altération, par la gelée, des tissus du bois, altération qui, lentement propagée jusqu’à la souche, amène la mort du sujet.
Le bois du Châtaignier ressemble assez à celui du Chêne pour qu’on l’ait souvent confondu avec ce dernier, dont il diffère seulement par l’étroitesse de ses rayons médullaires. Ce caractère, qui entraîne l’absence des maillures si apparentes dans le Chêne, permet de distinguer ces deux essences. Ce bois, dont la densité varie de 0,551 à 0,742, est souple et dur ; et quoique moins dense que le Chêne, il a presque autant de force. Il se conserve longtemps et peut être employé à la charpente, à la menuiserie et aux travaux hydrauliques. On en fait des merrains, des échalas, et les jeunes brins servent à confectionner des cercles.
Comme bois de chauffage, le Châtaignier est peu estimé, quoique sa puissance calorifique soit assez élevée ; mais il a le défaut de pétiller et de lancer au loin des étincelles.
On retire du bols de Châtaignier un extrait, employé dans la teinture et la tannerie. Ce produit s’obtient en faisant macérer dans une chaudière des copeaux tranchés au moyen d’une varlope circulaire. Quand la macération a suffisamment attendri les tissus, on fait arriver dans la chaudière un courant de vapeur qui élève la température de l’eau et amène la dissolution du tanin et des autres matières extractives, contenues dans le bois. Le liquide, concentré par évaporation dans de grandes bâches, constitue l’extrait de châtaignier que les teinturiers emploient comme succédané de l’extrait de noix de galle, pour charger les étoffes de soie. Cet extrait est également employé pour le tannage des peaux. 100 kilogrammes de bois de Châtaignier donnent 25 kilogrammes d’extrait.
Les taillis de Châtaigniers sont en général à courte révolution. Suivant que les produits de l’exploitation sont destinés à la fabrication des perches à mines, des échalas ou des cercles, ses révolutions varient de dix à vingt ans. Si l’on veut obtenir du merrain, il faut prolonger la durée de la révolution jusqu’à trente, quarante et même cinquante ans.
Comme les Châtaigniers ne supportent pas le couvert, on ne fait aucune réserve.
La plantation est le mode le plus généralement employé pour créer les taillis qui ne se forment pas spontanément. Le semis, en apparence moins coûteux, offre beaucoup de chances d’insuccès à raison de la valeur nutritive des châtaignes, qui sont presque toujours mangées par les mulots ou les sangliers.
On choisit de préférence les plants de pépinières de deux ou trois ans, qui ont de 0m,40 à 1m,20 de hauteur, et de 2 à 4 centimètres de tour. Si le sol destiné à la plantation n’est pas trop accidenté, et s’il est en état d’être cultivé, il convient de lui donner un bon labour, puis on repique les plants dans des trous espacés de lm,50 à lm,80. Au printemps qui suit la plantation, on sème entre les lignes de plants des Pommes de terre, auxquelles on donne les cultures ordinaires.
Quand on extrait les tubercules, ou mieux encore au printemps qui suit cette récolte, on donne un dernier labour au sol. On recèpe les jeunes Châtaigniers au printemps, cinq ou six ans après la plantation, on les débarrasse des herbes et des broussailles, et on laisse ensuite le jeune peuplement atteindre l’âge de six ou sept ans, moment où l’on pratique un nettoiement qui a pour objet de faire disparaître les rejets dominés, secs ou dépérissants. En même temps qu’on enlève ces brins malvenants, on procède à l’émondage des perches conservées. Cette opération doit être faite jusqu’à la hauteur de 2 mètres et avec une serpe bien tranchante. Les taillis de Châtaignier qui sont exploités à douze ou quinze ans n’exigent pas d’autres soins ; mais si la révolution doit durer dix-huit ou vingt ans, on pratique vers la dixième année une éclaircie qui porte sur les brins secs ou dépérissants, et on laisse ensuite le peuplement arriver jusqu'à l’époque fixée pour son exploitation. A raison de la vigoureuse végétation du Châtaignier, lorsqu’il est dans un sol et sous un climat favorables, les taillis de cette essence sont très productifs, et comme les sols granitiques ou siliceux, qui sont ceux qui lui conviennent le mieux, sont peu propres à la culture des céréales, il y a grand avantage à les consacrer à celle d’un arbre qui s’en accommode très bien. Les Châtaigniers cultivés pour leurs fruits et qui sont plantés en bordure, en lignes, ou épars au milieu des champs et des pâtures, doivent être largement espacés, parce que cet arbre aime la lumière et ne fructifie bien qu’autant qu’il n’est pas gêné par ses voisins. La distance des arbres plantés en lignes ou bordures ne doit pas être inférieure à 12 mètres, elle sera d’au moins 20 mètres pour les plantations en quinconces.
Ces arbres sont soumis au greffage lorsqu’ils ont environ 20 centimètres de tour à la base. On coupe alors la tige à 2m50 du sol. Parmi les bourgeons qui naissent autour de la section, on en choisit cinq ou six des plus vigoureux et on les greffe en fente ou en écusson. Après cela il ne reste plus qu’à supprimer les bourgeons non greffés et à émonder les rejets qui se forment sur le tronc et le collet de la racine. Les greffons portent fruit après cinq ou six ans.
Châtaignier : 1, rameau de Châtaignier chargé de chatons et de fleurs femelles ;
2, glomérule de fleurs femelles ; 3, fleur mâle ; 4, étamines ;
5, pistils et ovaire ; 6, involucre renfermant trois châtaignes ;
7, châtaigne ; 8, coupe d’une châtaigne.
La durée du Châtaignier sauvageon est très grande, on en cite qui ont cinq et six cents ans ; mais l’arbre greffé ne dépasse guère deux siècles et longtemps avant ce terme il se couronne et se creuse. On redonne une nouvelle vigueur à ces arbres épuisés en raccourcissant les branches principales à 1 mètre du tronc.
La récolte des Châtaignes se fait en septembre et au commencement d’octobre, époque où leur involucre s’entrouvre et se détache. On fait tomber en les gaulant celles qui ne tombent pas naturellement. Conservées dans leur coque épineuse, les Châtaignes restent longtemps fraîches, mais celles qui sont nues se conservent difficilement ; pour qu’elles passent l’hiver sans sécher ou moisir, il faut les stratifier dans du sable sec. Après le mois de mars, on ne peut plus les consommer fraîches.
Dans les pays de production où les Châtaignes entrent pour une part importante dans l’alimentation des hommes et du bétail, on les conserve en les soumettant à une dessiccation prolongée sur des claies ou des planchers au-dessous desquels on brûle pendant une dizaine de jours des matières qui produisent peu de flamme et beaucoup de fumée. Quand l’écorce se détache bien et que la pulpe résiste à la dent, la Châtaigne est jugée suffisamment sèche. La décortication s’opère soit en marchant sur les Châtaignes étalées, avec des chaussures dont la semelle est garnie de lames dentées, soit en les frappant avec des masses garnies de dents en bois dur. Les populations rurales du Limousin, de la Marche et d’une partie de l’Auvergne font une grande consommation de ces Châtaignes séchées et décortiquées, qu’on mange bouillies avec un peu de sel.
Les variétés du Châtaignier cultivé sont très nombreuses. Les plus estimées sont : le Marron dit de Lyon, dont le fruit gros, presque rond, à écorce fine, est recouvert d’une pellicule qui ne pénètre pas profondément dans les sinus de l’amande ; la Dauphinoise, à fruit gros et rond, la Nouzillarde, la Grosse rouge, la Grosse verte, la Partalonne, à fruit presque rond de couleur claire, la Pèlegrine de grosseur moyenne très productive, la Pialone, châtaigne grosse, de bon goût, dont la pellicule se détache facilement. B. de la G.
Article et gravure, extrait du dictionnaire Histoire naturelle de Guérin (1833),
avec quelques informations complémentaires, en dehors de celles qui recoupent celles du texte précédent.
CHâTAIGNE, On nomme ainsi le fruit du Châtaignier. On a donné ce nom à divers végétaux et animaux à cause des épines qui les couvrent et qui les font comparer à la Châtaigne ou à son enveloppe. Voici les principaux:
Châtaigne du Brésil. Fruit de la Berlholétie.
Châtaigne marine ou d’eau. Le Trapa natans.
Châtaigne de cheval ou marron d’Inde. Le fruit de I’Hippocastane.
Châtaigne de Malabar. Le fruit de l'Arlocarpus integrifolius.
Châtaigne de mer. Les Oursins, principalement sur les côtes de Normandie.
Châtaigne noire. Nom vulgaire d’un insecte du genre Hispe .
CHâTAIGNIER, Castanea.
Indigène aux climats tempérés de l’Europe où on le trouve dans presque toutes les forêts, ce grand arbre vient très-bien sur les sols arides, sur les coteaux sablonneux et frais, sur les terres compactes et granitiques. Il aime à croître en futaies. Isolément il parvient à une grosseur extraordinaire, à une taille gigantesque. Qui n’a pas entendu parler du fameux Châtaignier aux cent chevaux que l’on voit en Sicile depuis des siècles, sur les laves de l’Etna, et qui a dix-sept mètres de circonférence et cinquante-deux de hateur ? Qui ne connaît point ceux des bords de l’Erdre, département de la Loire-Inférieure, les plus gros que je sache vivant en France, et ceux des environs de Sancerre, département du Cher ? Quel est le Parisien qui n’a point visité les antiques et vénérables Châtaigniers de la Cesle près de Marly, ceux de Montmorency, surtout ceux venus près du village de Boussemont, si souvent frappés par la foudre ? Il est peu de contrées où cet arbre soit répandu avec plus de profusion qu’en Corse, sur les Cévennes, et particulièrement sur les coteaux de nos départements de la Haute-Vienne et de la Corrèze, où son fruit fait la nourriture presque exclusive des habitants.
Quoiqu’il habite les vallées des hautes montagnes du Jura, des Pyrénées, des Basses Alpes, qui sont couvertes de neige pendant six mois de l’année, le Châtaignier ne vient pas dans le Nord, et ceux qui croissent dans le climat de Paris ne donnent que des fruits de médiocre qualité. Ses fleurs s’y montrent tardivement. Durant sa jeunesse, il pousse avec beaucoup de lenteur ; mais quand on le coupe à un certain âge, au dessus de vingt ans par exemple, il donne, la première année, des rejets d’une hauteur remarquable. Pendant douze ou quinze années, c’est-à-dire jusqu’au moment où ces rejets portent fruits, cette activité de végétation se soutient ; mais alors elle se ralentit de plus en plus et finit par n’être plus que de quelques millimètres par an. Les pieds venus de semences ne parcourent point aussi rapidement les phases de leur végétation. S’ils ne donnent de fruits qu’à trente ans, combien aussi leur existence est de plus longue durée ! combien sont plus brillantes, plus larges, d’un beau vert clair, les feuilles qui les décorent pendant un bon nombre de printemps ! Ces pieds fournissent de superbes poutres ; mais comme le bois du Châtaignier est loin de réunir la force et la densité de celui du Chêne, qu’il est cassant, on le rejette de tout emploi d’œuvre qui exige de la résistance. Aussi est-ce par erreur que l’on parle encore d’antiques charpentes en Châtaignier, ayant traversé de longs âges en supportant des masses considérables. Toutes ces charpentes proviennent du Chêne blanc, dont l’espèce devient de plus en plus rare, et dont le bois a les plus grands rapports avec celui du Châtaignier. Ce dernier est seulement d’une teinte un peu moins obscure ; mais la disposition des pores, celle des fibres longitudinales, ainsi que la qualité du grain, sont absolument identiques. Plus riche en carbone qu’en hydrogène, le bois du Châtaignier est le meilleur que l’on puisse employer pour faire un charbon excellent. C’est sous ce point de vue qu’on l’exploite au pied des Pyrénées.
Nous comptons différentes variétés de Châtaigniers qui ne fructifient pas également dans toutes les expositions. Les unes ne prospèrent qu'autant qu'elles sont placées au nord ; les autres s’accommodent plus volontiers des aspects du midi et du couchant ; celles-ci montent très-haut ; celles-là se tiennent dans une taille moyenne ; plusieurs sont hâtives, tandis que quelques autres sont tardives. Il y en a qui produisent de très-gros fruits, riches en principe sucré, d’une saveur et d’un arôme tout particulier. Tels sont surtout les Châtaigniers du Brésil, petit canton dans la commune de Loir, à 20 km de Lyon et ceux du département du Var. Ces fruits portent à Paris le nom impropre de Marrons de Lyon.
En certaines localités on tient le Châtaignier en sauvageon ; en d’autres, on le greffe ; ailleurs on l’élève en pépinière ; plus loin, on ne le veut qu’en forêts. Quelle que soit la position où il se trouve, quel que soit le mode de culture auquel on le soumette, le tissu ligneux s’altère assez promptement, il se ramollit et tombe en poussière. Il se forme alors au cœur même de l’arbre une cavité qui s’agrandit de jour en jour par les progrès de la décomposition. Bientôt le tronc ne présente puisqu’une écorce végétante. Le plus souvent, trop faible pour soutenir le poids des branches et pour résister aux secousses des ouragans, cette masse cède, l’arbre tombe et périt. Si l’on adoptait la coutume des cultivateurs du département de l’Ailier, on compterait un plus grand nombre de vieux Châtaigniers. Cette coutume consiste, dès qu’ils aperçoivent que la carie fait des progrès, à excaver le tronc, puis à y brûler de la bruyère et autres broussailles. Ils poussent le feu jusqu’à que le bois soit charbonné. La carie n’agit plus alors et l’arbre traverse gaiement de nouvelles années.
Tout Châtaignier qui n’a point été greffé donne des Châtaignes sauvages, peu abondantes, petites et presque point sucrées. Les meilleures sont fournies par les arbres cultivés, lesquels ne rapportent véritablement que de deux années l’une. L’excellent ouvrage de Parmentier sur la cueillette, la préparation et l’emploi de ce fruit, que mangent également le riche et le pauvre, nous exempte d’entrer dans des détails qui seraient trop longs. On gagnera à lire les pages écrites par ce savant, qui fut le bienfaiteur des hommes, et dont toutes les pensées eurent pour but l’amélioration de l’agriculture et celle de toutes les branches de l’économie rurale et domestique.
La seconde espèce de Châtaignier est le Châtaignier de la Chine, G. sinensis, que l’on cultive dans quelques jardins botaniques, et que l’on propage dans les îles françaises de Maurice et Mascareigne. C’est un assez grand arbre. Sa Châtaigne est bonne à manger.
Une troisième espèce nous est venue de l’Amérique centrale sous le nom de Châtaignier chincapin, C. pumila, Arbrisseau fort rameux, ne s’élevant guère au dessus de cinq mètres dans son pays, et atteignant au plus en pleine terre chez nous, à un mètre et demi, deux mètres. Ses fruits sont petits, pendent en bouquets de cinq à six ensemble ; ils sont presque tous solitaires dans leurs coques ; à peu près sphériques en septembre, c’est-à-dire à l’instant de leur première maturité, plus tard ils deviennent piriformes. Leur grosseur est celle de la noisette ordinaire des bois. Cette petitesse est rachetée par l’avantage de la bonté, de l’abondance et par l'a précocité. Elle devance toujours de plus de trente jours la récolte de la Châtaigne commune, qui, dans les années tardives, ne mûrit qu’en partie et n’est bonne à recueillir qu’à la fin d’octobre. Pour sa petite taille, le Chincapin ou Châtaignier nain peut se placer partout où l’on ne pourrait avoir le gigantesque individu qui produit le prétendu Marron de Lyon. Il redoute plus les grandes chaleurs que les froids les plus rigoureux, et se plaît dans les terrains frais et légèrement humides. On le multiplie de semis et par la greffe. On le connaît depuis 1699.
Dans quelques cantons de France on donne le nom de Châtaignier à une sorte de pommier ; à la Guyane, au Pachire des marais, Carolinea princeps ; les Haïtiens appellent aussi de ce nom le Cupane d’Amérique, qui a l’aspect du Châtaignier, Cupania americana ; le Quaparier des Savanes, Bannisteria tomentosa ; et l’Apéiba velu, Sloaneadentata.
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