Article et gravures, extraites du Dictionnaire encyclopédique de Vorepierre de 1867
BOEUF, s.m. (On pron. l’F au sing. ; au plur., on ne la prononce pas.) (lat. bos, bovis). Taureau mis hors d’état de se reproduire. Bœuf de labour. Troupeau de bœufs. Une couple, une paire, un attelage de bœufs. Découpler les bœufs. Le pied, la tête, les cornes, les flancs, la queue d’un bœuf . Engraisser des bœufs. étable à bœufs. Le meuglement, le beuglement d’un bœuf . Tuer un bœuf . Du cuir de bœuf — Absol., Le bœuf gras. (On pron. l’F.) Bœuf très gras que les bouchers promènent en pompe par la ville, les derniers jours du carnaval. Promenade du bœuf gras. — Fig. et prov., Mettre la charrue avant les bœufs, Commencer par où l’on devrait finir ; Intervertir l’ordre des choses. || La chair de bœuf destinée à servir d’aliment. Un morceau, une pièce, une tranche de bœuf. Une langue, un palais de bœuf . Un filet de bœuf. Une livre de bœuf. Bœuf bouilli, rôti, fumé, salé. — Absol., se dit d’un morceau de bœuf bouilli. Servir le bœuf . Le bœuf était excellent. Bœuf à la mode, Morceau de bœuf assaisonné et cuit dans son jus. — Fig. et fam., C’est la pièce de bœuf, se dit De ce qui est d’usage habituel, comme la pièce de bœuf dans les repas ordinaires ; ou bien De ce qui tient une place importante au milieu de plusieurs objets du même genre ou présentés en même temps. || Fig. et fam., Un homme très corpulent, très gras. Quel gros bœuf. On dit de même, Il est gros comme un bœuf — C’est un bœuf pour le travail, ou simplement, C’est un bœuf, se dit De quelqu’un qui travaille beaucoup et longtemps sans trop de fatigue. — Il est lourd comme un bœuf, se dit D’un homme dont l’esprit est pesant. || Terme d'Archit : Œil-de-bœuf. || Terme de Jeu : Pied de bœuf .
Encyclopédie. — « Le mot Bœuf, dit Cuvier, désigne proprement le Taureau mis hors d’état de se reproduire ; dans un sens plus étendu, il désigne l’espèce entière, dont le Taureau, la Vache, le Veau, la Génisse et le Bœuf ne sont que différents états ; dans un sens plus étendu encore, il s’applique au genre entier, qui comprend les espèces du Bœuf, du Buffle, du Yak, etc. — Dans ce dernier sens, le genre Bœuf est composé de Quadrupèdes Ruminants à pieds fourchus et à cornes creuses, qui se distinguent des autres genres de cette famille, tels que les Chèvres, les Moutons et les Antilopes, par un corps trapu ; par des membres courts et robustes ; par un cou garni en dessous d’une peau lâche, qu’on appelle Fanon ; par des cornes qui se courbent d’abord en bas et en dehors, dont la pointe revient en dessus, et dont l'axe osseux est creux intérieurement, et communique avec les sinus frontaux. »
Le genre Bœuf de Cuvier a été érigé en famille sous le nom do Bovidés, et partagé en quatre tribus, savoir : les Taureaux, les Yaks, les Bonases et les Buffles. En outre, on en a retiré le Bœuf musqué d’Amérique (Ovibos) qui forme la transition entre la famille des Bœufs et celle des Moutons. — Nous ne traiterons ici que de la première de ces tribus : celle des Bonases, qui ne comprend que l'Aurochs et le Bison, a été décrite au mot Bison. Il sera question des deux dernières aux mots Buffle et Yak.
Les caractères communs et propres à toutes les espèces qui composent la tribu du Bœuf, sont : Front ou tout à fait plat, ou légèrement concave ; treize paires de côtes ; langue hérissée de papilles cornées ; poil ras, sauf celui du sommet du front, qui peut être un peu plus long que celui du reste du corps, mais qui jamais ne retombe en touffe, comme chez l’Aurochs et le Bison. Le mufle est en général nu, et les mamelles, ordinairement au nombre de quatre, sont disposées par paires.
Parmi les espèces particulières de cette tribu, le Zébu (Bos indiens) se distingue par une loupe ou bosse graisseuse située sur le garrot (Fig. 1).
Zébu indien
Son poil est généralement gris en dessus par la génération de façon à constituer une multitude de races parfaitement distinctes.
Le Bœuf est un animal lourd, mais robuste ; il est en général lent dans ses mouvements, néanmoins il peut courir assez vite. Dans l’état de domesticité, il est doux, patient, et même susceptible d’attachement ; mais, à l’état sauvage, il est très farouche, dangereux et redoutable, à cause de sa grande force et des armes puissantes dont sa tête est armée. Le Taureau conserve toujours quelque chose du caractère farouche et irascible des races sauvages ; en conséquence, on ne l’emploie qu’à la reproduction de l’espèce, et dans les pays où l'on fait travailler le Bœuf, le Taureau est exempt de tout travail. Le cri du Bœuf est appelé Beuglement ou Mugissement : ce dernier terme s’applique surtout au cri du Taureau. — Les diverses races de Bœufs qui vivent à l’état sauvage, soit dans l’Inde, soit dans les pampas de l’Amérique du Sud, vivent par troupeaux souvent excessivement nombreux. Cette vie sociale leur permet de braver les attaques des animaux féroces dont ils deviendraient facilement la proie, si, comme une foule d’animaux, ils vivaient solitairement ou seulement en famille. Lorsque quelque grand carnassier, tel que Tigre, Jaguar, Puma, etc., vient à rôder autour du troupeau, toute la troupe se réunit en formant un cercle au centre duquel sont placés les Veaux, les Génisses et les jeunes bœufs dont la tête n’est pas encore armée ; l'enceinte extérieure est formée par tous les mâles adultes qui présentent ainsi à l’ennemi un rempart de cornes menaçantes. Grâce à ce système de défense, les Bœufs sauvages n’ont rien à craindre des bêtes féroces les plus redoutables. Quand un grand carnassier parvient à s’emparer d’un Bœuf, c’est uniquement par surprise, et parce que celui-ci s’est accidentellement écarté de la troupe.
La durée de la vie de ces animaux peut se prolonger jusqu’à vingt ans, peut-être même au delà ; mais, à l'état domestique, un bon agriculteur ne leur laisse guère dépasser l’âge de huit à neuf ans, époque où il les livre à la boucherie. Après cet âge, leur chair devient trop dure et coriace. En outre, l’usure de leurs dents ne permettrait plus de les engraisser au pâturage. Dans les laiteries où l’on élève un grand nombre de Vaches pour l’approvisionnement en lait des grandes villes, les nourrisseurs intelligents ne laissent guère vivre les Vaches au delà de six ans ; ils trouvent plus d’avantage à les engraisser à cet âge où leur viande a toute sa valeur, qu’à les conserver plus longtemps. L’âge du Bœuf se reconnaît par les dents et par les cornes. Les deux dents incisives médianes tombent à dix mois, et sont remplacées par d’autres qui sont moins blanches et plus larges : le renouvellement des deux incisives voisines a lieu à seize mois. A trois ans, toutes les incisives sont renouvelées ; elles sont alors égales, longues et assez blanches ; mais, à mesure que l’animal avance en âge, tous ces organes s'usent, noircissent et deviennent inégaux. Les cornes croissent pendant toute la vie de l’animal, par l’addition successive de nouvelles lames qui se déposent à l’intérieur de l’étui formé par la substance cornée, et la poussent devant elles, en produisant à sa base un bourrelet circulaire. Ce phénomène commence à trois ans, et, chaque année, un nouvel anneau ou bourrelet s’ajoute au-dessous des précédents. Ainsi, pour avoir l’âge d’un Bœuf, on prend pour trois ans le premier anneau à partir de la pointe, et l’on compte une année de plus par chaque nouvel anneau. Le jeune Taureau reçoit le nom de Veau jusqu’à dix mois, puis celui de Taurillon jusqu’à dix-huit, époque où il prend le nom de Taureau proprement dit ou celui de Bœuf, selon qu’on le conserve pour la propagation de l’espèce ou qu’on le rend incapable de se reproduire. La Génisse est une jeune Vache. Celle-ci, ainsi que le Taureau, est adulte à l’âge de dix-huit mois ou deux ans.
La durée de la gestation chez la Vache est assez régulièrement de neuf mois. L’observation de plusieurs centaines de vaches a donné à Tessier une moyenne de 276 jours. La portée ordinaire n’est que d’un Veau. Dans l’état demi-sauvage où ces animaux se trouvent dans quelques pays, en Colombie, par ex., le lait se tarit aussitôt que le petit cesse de téter ; mais, à l’état domestique, il en est autrement : nos Vaches donnent du lait jusqu’au moment où elles sont près de vêler de nouveau. — Le Veau que l’on veut élever est en général sevré au bout de six semaines. Dans le cas contraire, on l’engraisse pour le livrer à la boucherie : ce qui a lieu à l’âge de six semaines, de deux mois et même de trois. Un Veau de six semaines pèse environ 40 kilos. ; à trois mois, son poids égale 60 à 65 kilos.
Le Bœuf mange vite : après quoi il se couche ordinairement sur le côté gauche pour ruminer à loisir. Il se contente d’aliments plus grossiers que le Cheval et le Mouton ; mais, au pâturage, il lui faut une herbe plus longue, parce que l’absence d’incisives à la mâchoire supérieure et l’épaisseur de ses lèvres l’empêchent de saisir et de couper les brins trop courts. La ration nécessaire aux animaux de l’espèce bovine se calcule d’après le poids de chaque animal. évaluée en foin sec, la ration d’entretien d’un Bœuf ou d’une Vache, est de 3 pour 100 de son poids ; si donc l’animal pèse 500 kil., il lui faut 15 kil. de fourrage sec, ou bien son équivalent en racines, tourteaux et autres aliments. Mathieu de Dombasle, Boussingault, Villeroy, ainsi que plusieurs agronomes anglais et allemands, ont dressé des tables d’équivalents pour les diverses substances alimentaires qui conviennent à la race bovine : ces tables diffèrent peu entre elles. Avec la ration d'entretien, l’animal n’engraisse ni ne maigrit ; il ne fournit ni viande, ni lait, ni travail. Il faut donc encore ajouter à sa ration d’entretien 2 ou 3 pour 100 de son poids, ce qui forme sa ration de produit.— L’élève et l’engraissement du bétail sont une branche de l’économie rurale toujours très avantageuse quand elle est bien conduite. « Le bétail, dit Mathieu de Dombasle, c’est du foin qui prend des jambes pour se porter lui-même au marché. » Le même agronome fait remarquer au cultivateur que, lorsqu’il vend du fourrage en nature, il ne rapporte du marché que de l’argent. S’il a employé ses fourrages à élever et engraisser du bétail, il a, par la vente de ce bétail, outre la même somme d’argent, du fumier avec lequel il peut obtenir de sa terre les plus riches produits.
L’origine du Bœuf domestique est enveloppée de ténèbres qui n’ont pu, jusqu'à présent, être dissipées par les recherches de la science. On a longtemps regardé l'Aurochs comme la souche de nos races bovines ; mais l'étude comparative de l’anatomie des deux espèces du Bœuf et de l’Aurochs a démontré que celte opinion était dénuée de fondement. On a pensé aussi que le Bœuf domestique rendu à la vie sauvage reviendrait, au bout de quelques générations, à quelque type particulier qui pourrait être considéré comme celui de la souche primitive. Cependant, les innombrables troupeaux de Bœufs sauvages, descendants directs des Bœufs d’Espagne, qui paissent dans les Pampas de Buenos-Aires, n’ont subi aucune modification essentielle après trois siècles de liberté. Le type du Bœuf domestique d’Espagne y est encore très reconnaissable. — Les Anglais attribuent l’origine de leurs nombreuses races bovines au Bœuf calédonien, le seul qui subsiste en Europe à l’état sauvage. Des troupeaux de cette race sont conservés dans le parc de Charley (Derbyshire) et dans celui de Chillingham (Northumberland). Ce Bœuf est entièrement blanc, sauf les extrémités des oreilles et des cornes, qui sont de couleur noire (Fig. 2. Taureau sauvage de Chillingham).
Taureau sauvage de Chillingham
Livré entièrement à lui-même dans une forêt assez vaste, le Bœuf calédonien se tient caché dans la partie la plus épaisse et la plus impénétrable de son domaine, où il est difficile de l’apercevoir et dangereux de le déranger. Si le troupeau, qui compte environ quatre-vingts tètes, aperçoit un homme, tous les animaux s’arrêtent pour le regarder de loin ; puis, à un signal du chef de la bande, tous partent au galop et se mettent à décrire des cercles d’un très grand rayon, sans perdre de vue l’objet de leur frayeur. Un de ces animaux, pris jeune, fut élevé avec le gros bétail d’une exploitation : il ne se montra ni plus farouche ni moins docile que les autres ; lorsqu’il fut abattu à l’âge de trois ans, sa chair fut trouvée excellente. — Les gardes forestiers qui connaissent en détail le troupeau, ne laissent dépasser à aucun animal de l’un ou de l’autre sexe l’âge de huit ans, l’expérience ayant appris que, plus tard, leur chair perd presque toutes ses qualités. Pour abattre ceux qu'on veut sacrifier, on fait périodiquement de grandes parties de chasse qui rappellent celles du moyen âge. Le troupeau, selon sa coutume, tourne en cercles immenses autour des chasseurs, en s’en rapprochant continuellement. Lorsqu’il passe à portée de la carabine, les gardes désignent aux tireurs les bêtes qui doivent être abattues ; on permet aux autres de s’éloigner et de continuer à mener leur existence complètement sauvage. Ces chasses ne se passent pas toujours sans accidents plus ou moins graves.
L’une des races bovines qui ont subi les modifications les plus singulières, est assurément celle qui constitue les innombrables troupeaux des colons hollandais du cap de Bonne-Espérance, connus sous le nom de Bauwers ou Boërs (paysans), parce qu’ils mènent exclusivement la vie agricole et pastorale. Les ancêtres de ces colons, en venant s’établira l’extrémité sud de l’Afrique, importèrent la race du Bœuf Hollandais, variété de celle qui, sous les noms de race Cotentine et race Flandrine, subsiste sur tout le littoral de la Manche et de la mer du Nord. Le Bœuf hollandais est, dans son pays natal, essentiellement lourd et paresseux ; il marche peu et ne laboure point. Au Cap, il est devenu allongé, dégagé, haut sur jambes, et presque aussi rapide à la course que le Dromadaire lui-même. Lorsqu’un Bauwer reçoit un étranger, il se plaît à montrer la rapidité de ses attelages de Bœufs. Ceux-ci, en traînant un lourd chariot à quatre roues, font aisément au grand galop, dans des chemins épouvantables, 15 à 18 kilom. a l’heure, plusieurs heures de suite, sans en paraître fatigués. Ces Bœufs de course, s’il est permis de leur donner ce nom, n’engraissent jamais ; mais ils ne sont jamais maigres. On les emploie uniquement comme bêtes de trait. Le grand trot est leur allure ordinaire ; cependant ils prennent aussi le galop et se montrent, dans leur métier de coureurs, aussi vifs que dociles.
Dans les pays civilisés et bien cultivés de l’Europe, les races de Bœufs domestiques sont d’autant plus variées que l’état de l’agriculture est plus avancé.
Ainsi par ex., en Ukraine, en Podolie (Pologne), en Hongrie, on ne rencontre qu’une seule race, d’un gris uniforme, à très longues cornes, la même qu’on retrouve dans les parties les moins bien cultivées de l’Italie, où elle est connue sous le nom de Bœuf de la Romagne. Ces Bœufs vivent toute Tannée dans des pâturages où ils sont à peine gardés, et mènent une vie à demi sauvage. Aussi ressemblent-ils beaucoup aux Bœufs sauvages du nouveau monde. — A l’autre extrémité de l’Europe, les îles Britanniques nous offrent, comme base de l’agriculture la plus perfectionnée, une grande variété de races de gros bétail dont nous indiquerons les principales.
En écosse, la race du comté d’Ayr, se distingue par la perfection de ses formes, sa sobriété et l’excellence de son lait ; c’est la race la mieux appropriée aux pâturages maigres des pentes des montagnes. — En Angleterre, pays de grande consommation de viande, le premier rang appartient sans contestation, comme race de boucherie, au Bœuf de Durham, à courtes cornes, race entièrement artificielle. Ce fut dans la seconde moitié du dernier siècle qu’un éleveur célèbre, Bakewell, démontra expérimentalement que, par un choix judicieux de reproducteurs dirigé constamment vers un but déterminé, on peut porter au plus haut degré de développement les qualités désirées dans une race de bestiaux. Cinquante ans plus tard, Collings, émule de Bakewell, en opérant d’après les mêmes principes, créa la race Durham à courtes cornes. La tête et les pieds étant les parties qui, chez les animaux de boucherie, ont le moins de valeur, les Durham les plus parfaits n’ont une tête que parce qu’ils ne peuvent se dispenser d’en avoir une, et il est difficile de comprendre comment leurs jambes, tant elles sont minces et grêles, peuvent soutenir leur corps (Fig.3. Bœuf Durham à courtes cornes).
Bœuf Durham à courtes cornes
Cette race a aussi conquis artificiellement l’avantage d’une grande précocité et d’une disposition très prononcée à prendre la graisse. Tant de qualités réunies ont porté au loin la renommée du Bœuf Durham à courtes cornes, et des reproducteurs de cette race ont été introduits dans tous les pays bien cultivés de l’Europe. La plupart des bêtes de boucherie abattues actuellement dans les grandes villes de la France, de la Belgique et de l’Allemagne, ont plus ou moins de sang de Durham. — La Grande-Bretagne possède aussi d’excellentes races de gros bétail à longues cornes : celles de Devon et d'Hereford sont les plus renommées ; souvent, dans les concours d’animaux de boucherie, des Bœufs de Devon et d’Hereford (Fig. 4. Bœuf de la race d’Hereford) luttent avec avantage contre les Durham.
La France n’est pas moins riche que la Grande-Bretagne en bonnes races de Bœufs domestiques. Les différences tranchées qui distinguent nos races des races anglaises ont pour cause la différence de leurs destinations. En Angleterre et en écosse, tous les travaux agricoles sont exécutés par des chevaux ; les Bœufs, élevés exclusivement pour être livrés à la boucherie, ne travaillent pas. En France, le plus grand nombre des Bœufs abattus a servi pour les labours et les transports ; plusieurs de nos régions agricoles n’engraissent pour la boucherie que des Bœufs qui ont travaillé.— La meilleure race française, pour le travail, est celle des Bœufs de Garonne, de très grande taille. Les vaches de celte race travaillent aussi bien que les Bœufs ; elles ont à peine du lait pour nourrir leurs veaux, et ne sont élevées qu’en vue de la reproduction. — Viennent ensuite, dans l’ordre de leur mérite comme travailleurs, le Bœuf d’Auvergne de la race de Salers, le Bœuf du Charolais (Fig. 5. Taureau charolais, qui a reçu une prime au concours universel de 1856), et celui du Poitou, plus connu sous le nom de Bœuf de Chollet.
Tous ces Bœufs, ainsi que le Bœuf Limousin et celui du Nivernais, sont à la fois des races de travail et de boucherie. — L’ancienne race Normande ne laboure pas. Elle est exclusivement élevée en vue de la boucherie, et a le privilège de fournir les Bœufs gras que l’on promène dans Paris aux derniers jours du carnaval. Depuis quelques années, elle a été fort améliorée par le croisement avec la race anglaise de Durham. — Notre petite race Bretonne, aussi sobre qu’active, mérite aussi une mention. Cette race, compagne de la grande migration des Celtes, rappelle par sa petite taille la souche du Bœuf indien dont elle paraît issue. Les petits Bœufs gars (bigarrés ou de deux couleurs) qu’on rencontre dans toute la presqu’île Armoricaine, sont aussi exempts de croisement étranger que les paysans Celtes de la basse Bretagne. Chez eux, une vache s’appelle encore une Boudiche, et ce nom indien atteste la primitive origine et du maître et de l’animal. — Le volume trop considérable et la trop grande vigueur de la charpente osseuse de nos Bœufs de boucherie sont des imperfections au point de vue du rendement en viande ; mais, au point de vue du travail, ce sont des qualités. Tant que les Bœufs, en France, laboureront avant d’être engraissés, aucune de nos races de boucherie n’aura cette finesse de membres et cette petitesse des os de la tête, qui sont regardées comme des perfections chez les races anglaises qui ne font aucun travail.
Du point de vue de la production du lait et du beurre, les races françaises les plus recommandables sont :
1° la petite Vache de Bretagne, dont le lait est peu abondant, mais fort riche en beurre ;
2° la grande Vache Normande, dite Vache Cotentine, qui donne beaucoup de lait, mais dont le lait est moins riche en substances grasses que celui de la race précédente ;
3° la Vache de la Flandre française, dite Vache Flandrine, égale ou supérieure à la Cotentine comme laitière.
On rencontre aussi dans tous nos départements de l'Est une très belle et très bonne race de Vaches laitières ; mais elles ne sont pas françaises : ce sont des Vaches suisses de la race Bernoise, dont le sang est constamment renouvelé par des reproducteurs achetés dans les vallées du canton de Berne. — En Suisse, la race Bernoise, la plus renommée de ce pays, mérite sa réputation comme race laitière seulement. Elle est médiocre pour la boucherie. C’est avec le lait des Vaches de cette race que les cultivateurs des départements du Doubs, du Jura et de la Haute-Saône, fabriquent des fromages vendus dans le monde entier sous le nom de fromages de Gruyère, et qui ne diffèrent en rien des fromages suisses de même nom. — En Belgique, indépendamment de la race Flandrine, qui est excellente laitière, et qui, au point de vue de la boucherie, a été fort améliorée par le croisement avec les taureaux de Durham, on trouve une petite race sobre, agile, au lait très riche en beurre, tout à fait semblable à la Boudiche des Bretons : c’est la race Ardennaise, confinée sur les plateaux élevés de l’Ardenne belge. — La race Hollandaise (Fig. 6. Vache hollandaise qui a obtenu une prime au grand concours agricole de Paris) est surtout renommée pour la production du lait. Elle n’est qu'une variété améliorée de la Vache Flandrine. On rencontre parfois des Vaches hollandaises qui donnent de douze à quinze litres de lait par jour pendant six mois sans interruption, après avoir vêlé.
Il serait du plus haut intérêt pour l’industrie agricole de pouvoir reconnaître à première vue si une Vache est ou doit être une bonne ou une mauvaise laitière. Ce difficile problème a été en grande partie résolu par un simple paysan tout à fait illettré des environs de Libourne (Gironde). Guénon a reconnu et constaté, par une série innombrable d’observations, que les qualités laitières d’une Vache sont en rapport constant avec la forme et l’étendue de ce qu’il a nommé l'écusson. L’écusson est placé à la partie postérieure des deux cuisses ; il entoure le pis et se prolonge supérieurement jusqu’au-dessous de la naissance de la queue. Les poils de cette partie ont une direction remontante, ce qui fait qu’avec un peu d’habitude, il est aisé de limiter exactement l’étendue de cette région. Tout le système de Guénon repose sur ce seul fait, et les indications pratiques qu’il fournit sont en général assez précises. Plus tard, on a reconnu, ce que Guénon ignorait, que les qualités laitières de la Vache dépendent, non du volume du pis, qui n’est pour le lait qu’un simple réservoir, mais uniquement du volume des glandes lactifères qui seules sécrètent le lait et le transmettent au pis. Or, les écussons ne sont autre chose que la marque de l’espace occupé sous la peau par ces glandes. La découverte de Guénon lui a valu une pension du gouvernement à titre de récompense nationale. Il est possible, sans doute, que la méthode de Guénon ne donne pas toujours, dans l’application, des résultats rigoureux ; mais c’est déjà beaucoup que de pouvoir, avec certitude, n’élever que des Vaches bonnes laitières, en consacrant à la boucherie celles dont le rendement en lait ne payerait pas la nourriture.
La race Bovine est sans contredit de toutes les espèces animales celle qui rend le plus de services à l’homme. Elle laboure et travaille pour lui ; elle le nourrit de son lait et de sa chair ; elle lui procure en abondance les engrais dont il a besoin pour rendre ses champs féconds ; enfin, elle fournit à son industrie des matériaux d’une grande valeur. L’industrie en effet tire parti de sa peau, de sa graisse, de son poil, de ses os, de ses cornes, de son sang, de ses tendrons et même de ses intestins. Un Bœuf de 325 kil. fournit 222 kil. et demi de viande, 22 et demi de suif et 20 de cuir ; le sang et les issues représentent un poids de 60 kil. C’est avec la peau du Bœuf, de la Vache et du Veau que l’on prépare les cuirs destinés à la confection des chaussures, des harnais, et à une multitude d’autres usages. Les poils dont on dépouille les peaux fournissent de la bourre pour les tapissiers, les selliers, etc. ; on les file même et l’on en fabrique des tissus grossiers appelés Thibaudes, avec lesquels on fait des doublures de tapis et des manteaux de rouliers presque imperméables à l’eau. Avec les os, les tourneurs font une foule de petits ouvrages ; on en extrait de la gélatine ; on en fait du noir animal ; en outre, ils constituent un engrais puissant. Les cornes sont recherchées par les tabletiers pour faire des tabatières, des peignes, des boutons, etc. Le sang sert au raffinage du sucre et a clarifier les vins, les sirops, etc. ; on en fabrique aussi un engrais des plus énergiques Avec certaines parties tendineuses, on fait des cravaches ; avec les intestins, on fait des cordes d’instruments de musique, de la baudruche, etc. Enfin le fiel est employé dans le dégraissage et la teinture.
Quand on considère le nombre et l’importance de ces services, on peut, jusqu’à un certain point, juger de l’état agricole et industriel d’un peuple par le nombre de têtes Bovines qu’il nourrit. Sous ce rapport, il existe une grande différence entre les diverses contrées de l’Europe. La Grande-Bretagne, à cet égard, l’emporte de beaucoup sur tous les autres pays.
Article extrait de l'Encyclopédque domestique de 1830
BOEUF.
Nous comprendrons sous cette dénomination générique le taureau, la vache, le veau, la génisse, et le bœuf proprement dit. Nous croyons hors de notre sujet de nous occuper du buffle, et des diverses autres espèces qui ne peuvent être considérées en France, au moins quant à présent, que comme des animaux de curiosité. Nous ne nous arrêterons pas non plus à énumérer et décrire les différentes variétés de bœufs que présente la France, et qu’il est d’usage de partager suivant leur taille en bœufs de haut cru et en bœufs de nature. Ce que nous dirons s’appliquera à toutes les variétés ; et la nature procédant presque toujours par des voies uniformes dans l’ennoblissement des animaux, il ne restera que peu à faire à l’intelligence du propriétaire, pour se rendre compte des modifications que réclame la localité qu’il habite.
TAUREAU.
Les différentes contrées de la France où l’on se livre particulièrement à l’élevage des bêtes bovines, ont chacune une industrie particulière qui tient aux localités, Le midi élève des bœufs pour l’engraissement, tandis que la Flandre, la Bretagne, la Normandie, entretiennent des vaches laitières, et demandent à une autre branche de produits le paiement de leurs dépenses. Ces destinations en quelques sortes opposées, exigent des animaux qu’on y emploie, des qualités différentes, et cette destination serait encore plus tranchée, si une fin commune, la vente pour la boucherie, n’obligeait à ne pas trop s'écarter des formes qui rendent l'engraissement possible.
Malgré cette observation, les auteurs qui ont traité des espèces bovines, semblent ne reconnaître que pour la femelle la nécessité de telles ou telles formes, et ils s’accordent sur les formes à demander à l’étalon.
Un taureau doit avoir le corps gros, mais plutôt par le développement des organes que par la grosseur des os, qui en général doivent être petits et peu saillants ; la chair ferme et d’un tissu serré, la tête courte et garnie de cornes grosses et noirâtres, et régulièrement disposées ; le front et la face larges, l’œil noir, le regard assuré et fier, les oreilles longues et velues, le mufle grand et carré, le nez court et droit, le cou gros, nerveux, rassemblé, les épaules fortement attachées et libres, la poitrine ouverte et profonde, les jambes courtes, les reins forts, le dos droit, la cuisse large et pleine, le jarret détaché et musculeux, la queue longue et touffue, le poil fin, serré, luisant et surtout doux au toucher.
La couleur de la robe, quelle que soit la faveur ou la défaveur dont elle soit l’objet, et l’on peut dire que toutes les nuances ont leurs partisans et leurs détracteurs, n’ôte point aux animaux les qualités qu’ils possèdent, et n’en donnent point à ceux qui n’en ont pas. Mais la raison ne se refuse pas à admettre cette croyance trop généralement accréditée, pour n’avoir pas quelque chose de vrai, que les couleurs brunes et foncées sont le signe d’une plus grande ardeur : qualité qui est appréciable dans un étalon.
Il ne faut cependant pas prendre le change et s’attacher à un taureau parce qu’il sera emporté, violent, et d’un caractère difficile et méchant ; ce sont là des vices d’éducation, et non la marque d’une nature généreuse.
Tout étalon, et nous ne trouvons d’exception à cette règle dans aucune espèce d’animaux domestiques, doit être plein de fierté, d’ardeur et même de feu, mais traitable, facile et doux à l’homme, reconnaissant à la main qui le soigne, jamais méchant et sournois. De toutes les qualités, celles qui se transmettent le plus facilement, ce sont ses qualités morales, et parmi celles-ci, les mauvaises d’abord ; cette observation est fondée, elle s’applique même aux habitudes que ne peuvent souvent détruire une longue suite de générations.
Il faut donc s’étudier à traiter avec douceur, et je dirais presque avec égards, le jeune taureau qui s’élève pour la reproduction du troupeau. Qu’il soit nourri avec abondance, tantôt à l’étable pour l’habituer à l’homme, et tantôt à la prairie pour favoriser, par l’exercice, la croissance et raffermissement de ses membres, et le développement de ses organes ; que son étable spacieuse soit tenue avec soin et propreté ; que l’air et le jour y pénètrent facilement : l’air pour dilater ses poumons, et le jour pour empêcher qu’il ne devienne craintif et ombrageux.
Le sol de l’étable sera pavé, avec la pente nécessaire pour conduire les urines au dehors ; on peut employer à cet usage toute espèce de pierres ; la brique posée sur champ est préférable. Les murs seront recrépis à chaux et sable, et blanchis à l’eau de chaux au moins une fois par an ; les trous de toute espèce seront soigneusement bouchés. C’est le moyen de prévenir la multiplication des animaux et des insectes nuisibles.
La porte d’entrée sera large, le seuil au niveau du sol, les fenêtres au moins au nombre de deux, et placées autant que possible à l’est et à l’ouest, seront grandes et garnies d’un canevas mobile qui servira en été seulement à garantir les animaux des tracasseries des mouches et des insectes. Le râtelier sera élevé, et la crèche basse. Cette dernière doit être en pierre. Dans quelques pays le bois est plus cher que la pierre, là notre recommandation est conforme à l’économie ; dans d’autres la pierre est plus dispendieuse que le bois ; là encore c’est l’économie que nous recommandons. Car s’il y a excédant de dépense, d’abord la balance penche bientôt en sens inverse, en y jetant en contrepoids une durée plus longue, et la santé des animaux, qui du moins ne sont pas exposés à boire une eau et des aliments plus ou moins altérés par la mauvaise odeur et le goût détestable des mangeoires, dont le bois s’est imprégné à six lignes de profondeur de la partie humide des nourritures grasses ou huileuses, chaudes ou froides, qu’elles ont contenues souvent vingt-quatre heures de suite.
Enfin, le plafond ne sera point à jour, mais fermé de manière à ce qu’aucune ordure ne tombe du grenier dans le fourrage ou sur le dos de l’animal ; et, quel qu’il soit, ce plafond sera toujours débarrassé de toiles d'araignées, comme tout le reste de l’écurie.
Outre ces dispositions locales, des soins journaliers sont nécessaires au jeune taureau, et le plus nécessaire de ces soins est la propreté. Nous l’avons dit souvent, la propreté n’est pas une recherche de luxe, c’est une nécessité du corps et une nécessité telle, que toute négligence à cet égard est une chance donnée à la maladie. Le premier effet de la malpropreté est de boucher les pores de la peau, et de supprimer par là la transpiration ; cette fonction qui convient à l’épuration journalière du sang, et dont la cessation peut être une cause directe de maladie, en même temps qu’elle détermine extérieurement des démangeaisons et des affections de la peau. Il ne faut pas chercher une autre raison que celle-là à la formation de ces pelotes graisseuses, qu’on rencontre dans l’estomac des ruminants, et qui proviennent de ce que l’animal, tourmenté par des démangeaisons, se frotte avec la langue, et avale ainsi une grande quantité de poils, qui tantôt sont entraînés avec les aliments, et tantôt s’agglutinent et forment ces égagropiles.
Des cultivateurs n’ont pas rougi de dire que, pour prévenir cet accident, il fallait laisser les animaux s’encrotter de fiente et d’ordures, et l’on se vit disposé à croire que c’est en effet le remède qu’ils emploient en envoyant leur troupeau croupir dans des étables qui ressemblent à des fosses à fumier. Malheureuse ignorance qui ne sait prendre conseil que de la paresse !
Le remède, c’est la propreté : que les animaux soient conduits à l’eau le plus souvent possible, et qu’ils soient pansés à la main chaque jour. Ce soin paraîtra long si l’on considère l’état dégoûtant des troupeaux des onze douzièmes de la France ; mais il va devenir facile, si, au lieu de laisser pourrir la litière sous les animaux, on la renouvelle fréquemment et on l’épargne moins.
Il est vrai qu’il faudra renoncer à cette fabrication pestilentielle d’engrais, mais nous essaierons d’indiquer à l’article Fumier comment on pourra la remplacer avec avantage, pour la santé des animaux et sans préjudice des intérêts de la ferme.
Le jeune taureau doit être loin de l’étable aux vaches, dont le voisinage l’exciterait et le tourmenterait inutilement, en nuisant au mouvement de sa croissance ; ce n’est qu’après deux ans accomplis qu’il peut accompagner le troupeau dans les pâturages.
La saillie en liberté est sans contredit la meilleure et la plus fructueuse ; le mâle choisit lui-même les femelles en chaleur, et les féconde sans être inquiété par les soins de l’homme, soins plus souvent funestes qu’utiles : la génisse ne tarde pas à se calmer ; et si elle revient en chaleur, le taureau ne la couvre de nouveau qu’autant qu’elle n'aurait pas été fécondée par la première saillie.
Mais quoique ce mode soit préférable, il ne peut être pratiqué que par les propriétaires d’un troupeau un peu considérable. La plupart du temps la saillie des vaches se fait chez, un fermier qui nourrit un taureau pour ce service. Dans ce cas la, saillie se fait à la main.
Un taureau peut saillir de vingt à quarante vaches, et ne doit faire qu’une saillie par jour. Si on en exige davantage il ne tarde pas à s’énerver.
Pendant la saison de la saillie, le bœuf étalon doit recevoir une nourriture plus abondante et une ration de grain par jour.
Le temps du meilleur service de l’étalon est de trois à six ans ; après cet âge, il faut le remplacer par un jeune animal, et le livrer à l’engraissement. Un propriétaire anglais a obtenu, dans son troupeau, une grande amélioration, en n’employant que des taureaux de deux à quatre à ans.
L’âge dans l’espèce bovine se connaît à la dent et à la corne ; le bœuf a vingt-quatre dents mâcheuses, huit incisives, toutes disposées sur le devant de la mâchoire inférieure, et qui marquent l’âge. Les premières dents tombent à dix mois, et sont remplacées par d’autres qui sont plus larges et moins blanches ; à seize mois les dents voisines tombent, et à trois ans toutes les dents de lait sont renouvelées. Les dents de l’âge adulte sont égales, longues et assez blanches ; mais à mesure que l’animal vieillit elles s’usent et noircissent.
La corne fournit les indications suivantes : la pointe jusqu’au premier nœud compte pour trois ans ; on ajoute ensuite une année pour chaque nœud ou bourrelet, jusqu’à l’endroit où elle s’implante dans le front.
On se procure des taureaux, ou en les élevant, ou en les achetant. Dans le premier cas, un propriétaire ne doit employer ce moyen que lorsque l’amélioration de son troupeau est parvenue à un degré déjà satisfaisant ; il convient de choisir un veau qui provienne de la seconde portée d’une vache jeune et bien constituée, qui ait été saillie par un taureau également jeune et aussi distingué que possible. Le jeune animal qui doit faire un jour un taureau de race, s’annonce dès sa naissance ; il est plus fort, plus gros, plus hardi ; il fatigue sa mère de sa violence, et souvent elle ne peut suffire à l’allaiter. En un mot, il porte déjà le germe des qualités, et l’empreinte des proportions et des formes qu’une bonne éducation doit développer.
La première condition est de ne lui enlever aucune portion de lait de sa mère, et de suppléer même au besoin à l’insuffisance de cette nourriture, par une addition de lait ou de substances farineuses délayées. Il ne doit être sevré qu’après trois mois, mais on peut, dès le deuxième, l’habituer à manger des légumes coupés en tranches, des fourrages verts, et même du foin. Dès qu’il sera en état de pâturer on le mettra chaque jour en liberté, mais dans un pâturage substantiel, et plutôt sec qu’humide, en ajoutant quelques poignées de grain, soit avoine, soit orge, ou de féveroles, ou seulement de fourrage sec, à cette nourriture qui ne serait pas assez fortifiante.
Du reste, sans presque d’autres soins, le veau qui a été bien choisi, s’élève, se forme, se développe, et devient à deux ans un taureau plein de vigueur, qui récompense sans peine des dépenses de son éducation, soit par le produit de sa vente, soit par le service dans la ferme.
Mais, nous le répétons, le propriétaire ne doit pas faire chez lui d’élèves mâles, tant que l’amélioration laisse encore dans son troupeau quelque imperfection à corriger, car le vice dont le taureau est atteint se transmet à ses productions et s’accroît encore. Jusque-là le bœuf étalon doit être renouvelé assez fréquemment pour ne pas féconder les générations dont il est le père, et ce renouvellement doit avoir lieu par des acquisitions judicieuses. Sa taille ne doit être qu'un peu plus élevée que celle des vaches, mais il doit surtout être jeune, et provenir d’un pays, et, autant que possible, de pâturages analogues à ceux qu’on possède, et plutôt inférieurs que supérieurs en qualité.
Dans l’ignorance de ce fait, il convient de fournir au nouveau venu, pendant les premiers temps, une nourriture plus abondante que la ration ordinaire du pays, et de l’accoutumer par degrés au changement d’eau, en jetant dans la boisson quelques poignées de son ou de farine d’orge.
A ce soin il faut joindre une précaution : c’est que le taureau, s’il est tiré de loin, ait le temps de s’acclimater, si je puis m’exprimer ainsi, avant l’époque de la saillie ; car il arrive souvent qu’il éprouve les effets d’un changement de climat et de pâturages.
Outre le service d’étalon, le taureau est encore employé dans quelques pays à labourer les terres, en l’accouplant soit avec un autre taureau, soit avec un bœuf ; mais dans ce cas il convient de se rappeler, que si l’exercice et le travail entretiennent la santé et la vigueur, la fatigue et l’épuisement altèrent l’une et détruisent l’autre.
DE LA VACHE.
La vache laitière est moins belle dans ses formes que la vache de reproduction ; elle a le corps grand, l’apparence maigre et décousue, la tête petite, les cornes grandes, lisses et unies, le front large, les yeux noirs et vifs, le regard doux, le fanon petit, l’encolure un peu longue et grêle, les reins forts, la croupe un peu relevée, la queue attachée haut, longue et garnie à son extrémité d’une touffe de poils, la cuisse maigre, la hanche saillante, les jambes déliées, la mamelle ample, mais peu charnue, les veines lactées bien prononcées ; enfin la peau douce et fine et le poil soyeux. Quant à la couleur de la robe, nous ne dirons, pas qu’elle influe sur la quantité et la qualité du lait, mais nous ferons remarquer que les mélangées sont plus recherchées généralement, et que les blanches sont tout à fait rebutées.
La vache de reproduction ressemble davantage au bœuf ; ses formes ont de l’ensemble, la tête est large et grande, les cornes sont grosses, l’encolure est courte et épaisse, le fanon est volumineux, le dos est droit, l’épaule se perd dans son attache, le ventre est arrondi et peu étendu, la jambe est plus charnue, la cuisse plus grasse, la mamelle plus soutenue, plus épaisse et plus recouverte de chair ; les os sont plus petits et moins saillants ; enfin la physionomie générale est plus gracieuse. La croissance de la génisse est ordinairement terminée à deux ans, et l’on peut dès ce moment la livrer au taureau ; cependant si l’on attendait jusqu’à trois, on aurait une mère plus fortement constituée, et dont les productions seraient plus vigoureuses. C’est le soin qu’on doit avoir pour celles qui sont destinées à donner race.
Lorsque le taureau va aux champs avec le troupeau, c’est ordinairement au printemps qu’il saillit les vaches ; cependant quelques propriétaires ont soin, pour avoir du lait en tout temps, de partager la monte entre le printemps et l’automne. L’époque qui paraît la plus favorable est le mois de juin, parce que la gestation étant de neuf mois, la mère met bas au printemps suivant, et trouve des herbes nouvelles qui augmentent la quantité de son lait, et favorisent la croissance du veau. Cette monte en liberté est toujours productive.
Lorsque l’on mène la vache au taureau, il faut s’assurer qu’elle est réellement en chaleur, et on le reconnaît sans peine aux signes extérieurs qu’en donne l’animal, tels que l’agitation et l’inquiétude, le port élevé de la tête, le mouvement des flancs, les mugissements répétés, l’irritation et la proéminence de la vulve qui laisse découler une liqueur blanchâtre, et le trouble général qui se manifeste surtout par des mouvements désordonnés. La vache, dans cet état, saute indistinctement sur les autres vaches, sur les bœufs, sur les taureaux.
Comme la chaleur de la vache, qui revient fréquemment, ne dure que peu de jours, il ne faut pas perdre de temps pour la faire conduire au taureau ; mais si la distance à parcourir pour y arriver est assez longue pour fatiguer l’animal, on devra le laisser reposer. Une seule saillie est ordinairement suffisante pour féconder la femelle ; mais on devra la faire conduire au moins trois fois au taureau, qui la refusera si elle a retenu, ou qu’elle refusera elle-même si elle a cessé d’être en chaleur.
Quelquefois la chaleur des vaches est peu apparente, et se manifeste à peine extérieurement ; mais elle est toujours indiquée par l’écoulement de la liqueur qui suinte de la vulve ; il est vrai que souvent la présence d’un bouton ou d’une verrue au col de la matrice, détermine une démangeaison et une sécrétion de sérosité, mais il est peu difficile d’en reconnaître la véritable cause.
Les cultivateurs qui tiennent à faire saillir leurs vaches dans le courant du mois de juin, peuvent par une nourriture légèrement échauffante, telle qu’une addition d’avoine, les disposer à demander le taureau ; mais on ne doit pas employer, pour parvenir à ce but, des moyens plus actifs, qui n’agissent jamais qu’aux dépens de la santé des animaux, et presque toujours sans fruit pour la fécondité. La vache, comme nous l’avons dit, porte neuf mois ; après le sixième, on doit cesser de la traire, ou son lait, pendant le septième, sera donné aux animaux. On regarde comme un heureux augure pour la force du veau, que le lait se tarisse de bonne heure dans la gestation.
La vache, comme toutes les femelles d’animaux domestiques, réclame pendant la gestation des soins et des ménagements particuliers ; sa nourriture doit être abondante, mais sans excès ; substantielle sans pousser à la graisse, et, autant que possible, verte et fraîche pendant les derniers mois.
L’exercice est nécessaire pour préparer un port facile ; il sera donc toujours bien que l’animal prenne dans un pâturage une partie de sa nourriture ; autrement il doit être promené, c’est-à-dire mis en liberté chaque jour, dans une cour ou dans un champ, etc.
Si les pâturages où les vaches sont en liberté n’offrent pas d’abris naturels, il sera bon de faire rentrer les animaux, surtout les vaches pleines, pendant la grande chaleur du jour, principalement pour les garantir des importunités des mouches et des insectes qui les harcèlent, les échauffent, et nuisent à la bonne venue du petit.
Le moment de la parturition se prévoit d’ordinaire facilement et s’annonce d’ailleurs par des signes extérieurs, auxquels on ne peut se méprendre. L’abaissement du flanc et de la croupe, le gonflement du pis, les gémissements de la mère, la tension et la proéminence de l’entrée du vagin, l’ouverture et la dilatation de la vulve, sont les plus ordinaires. Dès qu’ils se manifestent, le vacher ne doit plus quitter l’animal. Le plus souvent la mise bas est facile et naturelle, et les soins du vacher se bornent à la précaution d’enlever l’arrière-faix pour empêcher la mère de le manger, ou à repousser et à retourner dans la matrice le jeune veau qui ne se présente pas par la tête et les jambes. Quelquefois cependant il est utile ou même nécessaire d’aider la nature par quelque boisson excitante ou rafraîchissante, selon que la mère manque de force ou fait des efforts trop violents ; pour les autres cas extraordinaires, la présence d’un vétérinaire est indispensable, et on ne doit pas négliger de l’appeler.
Quand la vache a mis bas, on est assez dans l’usage de lui faire avaler un breuvage fortifiant, tel que du vin, ou de la bière, ou toute autre substance fermentée ; cet usage ne peut pas être nuisible ; il a eu sans doute pour but dans l’origine d’aider la mère à se débarrasser du délivre qui quelquefois ne sort pas naturellement, et finit par se putréfier dans la matrice, pour n’en être expulsé que par lambeaux. Il vaut mieux dans ce cas l’extraire avec la main.
Il peut arriver qu’une vache fasse deux veaux, mais ce cas est rare ; le second veau vient alors dans les vingt-quatre heures. Si la mère n’est pas forte et bien constituée, il ne faut lui laisser qu’un petit et nourrir l’autre artificiellement ; autrement on les lui laisse tous les deux pendant quinze jours seulement ; après ce temps on livre au boucher le moins bien venant, ou on le nourrit encore quelques semaines avec de la farine d’orge délayée dans du lait, ou dans une décoction de foin, ou avec des tourteaux de graines de lin et de colza.
Le veau au moment de sa sortie est léché et essuyé par sa mère ; si elle ne prend pas ce soin d’elle-même on peut l’y amener, en jetant sur le corps du petit quelques poignées de son, de sel ou de mie de pain.
Après la parturition la vache ne doit pas être tourmentée de soins ; le repos est son premier besoin : quelques heures après on mettra devant elle de l’eau épaissie avec du son ou de la farine d’orge, et du fourrage vert et frais. Cette nourriture sera ensuite progressivement augmentée.
Le veau venu au monde ne tarde pas à téter sa mère sans avoir besoin de secours, mais si la mamelle gonflée par l’abondance du lait est trop dure pour qu’il puisse en exprimer le lait, il sera bien d’en traire une partie et d’en mouiller les pis, ce qui donnera au jeune animal les facilités suffisantes.
Quelquefois, à leur première portée, les jeunes vaches sont chatouilleuses, se défendent contre les approches de leur petit, et lui donnent même des coups de pied. Pour prévenir cet inconvénient, on devra, pendant la durée de la gestation, accoutumer la génisse à se laisser toucher les mamelles. Pendant les premiers jours après la mise bas, il sera nécessaire aussi de veiller à ce que le jeune veau prenne réellement de la nourriture, et essayer tous les moyens d’habituer la mère ou de la contraindre à se laisser téter ; enfin, si ces moyens étaient infructueux, il faudrait séparer le nourrisson, et le nourrir avec le lait de sa mère qu’on serait obligé de traire de trois heures en trois heures. Les jeunes veaux apprennent promptement à boire seuls, et pour y suppléer d’abord on leur mettra le doigt dans la bouche en y faisant couler du lait peu à peu.
Une vache qui se refuse à allaiter son petit, ne doit pas être conservée ; l’on doit de même consacrer à l’engraissement toutes celles qui retiennent difficilement, qui sont sujettes à avorter, dont la gestation est pénible, où qui sont d’une humeur inquiète et tracassière.
Quand le veau prend le pis avec facilité et se nourrit bien, il n’exige plus que les soins ordinaires, qui consistent à l’attacher dans un coin de l’étable, pour le garantir des atteintes des autres vaches qu’il pourrait vouloir téter, et laisser du repos à sa mère. Quatre ou cinq fois par jour on le fait téter en le conduisant près d’elle, si elle reste à l’étable, ou en la ramenant du pâturage.
Nous verrons plus bas comment les calculs de l’intérêt privé ont remplacé l’allaitement des jeunes veaux, par une nourriture plus économique, et qui réserve tout le lait pour les usages de la laiterie. Terminons d’abord ce qui concerne les vaches.
Nous avons dit que la génisse peut être livrée au taureau après deux ans ; a neuf elle doit cesser d’être saillie, non qu’elle ne soit plus capable de produire, car elle peut être fécondée jusqu’à quinze et vingt ans, mais parce que sa constitution déjà affaiblie pourrait influer sur la vigueur des productions. En second lieu, une vache après neuf ans peut encore être mise utilement à l’engraissement, tandis que plus vieille elle se vend difficilement pour la boucherie.
On a souvent agité la question de savoir s’il fallait nourrir les vaches à l’étable ou à la prairie, et, comme presque toutes les questions d’agriculture, elle a été résolue diversement. Dans quelques pays elles restent dehors toute l’année, tandis qu’ailleurs, on les mène le matin dans les pâturages, en les faisant rentrer à l’étable pendant la chaleur du jour, pour les faire ressortir ensuite jusqu’au soir ; enfin, là où les prairies naturelles manquent, on les nourrit à l’étable.
L’herbe des pâturages destinée aux bêtes bovines doit être longue et abondante, et la vache qui n’épluche pas l’herbe comme le cheval, et n’en mange que la sommité, ne doit pas se fatiguer à chercher sa vie. Si la pâture est insuffisante il sera nécessaire qu’elle trouve au retour son râtelier garni de fourrage.
La qualité et l’abondance du lait dépendent surtout de l’espèce de nourriture donnée à l’animal. Elle doit être composée autant que possible de verdure et de racines fraîches, si le lait est destiné à la vente, ou à la fabrication du beurre et du fromage, car il en sera plus abondant ; mais les fourrages secs, et surtout le foin, lui donnent une qualité supérieure, et particulièrement propre à fournir un beurre excellent ; ce qui n’a pas lieu quand les animaux sont nourris d’aliments aqueux, sans saveur, ou d’une saveur désagréable, comme les fanes de pommes de terre, les feuilles de choux, d'oignons, de poireaux, etc. On a même fait cette remarque que les fourrages qui proviennent de prairies artificielles sont, sous ce dernier rapport, moins bons que le foin des prairies naturelles.
Nourries au vert, les vaches ont moins besoin de boire ; cependant si le voisinage d’une rivière le permet, on doit les abreuver chaque jour au lieu de leur donner à boire à l’étable,
La vache laitière commence à donner de bon lait le septième ou huitième jour après le vêlage, mais, c’est au deuxième mois qu’il acquiert toute sa qualité. La traite se fait trois fois le jour, dans les premiers temps, et ensuite seulement le matin entre quatre et cinq heures, et le soir après le coucher du soleil.
La traite des vaches demande quelques soins, et pour être bien faite elle doit épuiser tout le lait de la mamelle ; si elle est incomplète, non seulement le produit sera moins considérable, mais la quantité en diminuera chaque jour.
Nous n’essaierons pas de dire comment il faut s’y prendre pour bien traire une vache, ces détails seraient aussi oiseux qu’inutiles, et il n’est pas de vachère un peu adroite qui n’en sache à cet égard beaucoup plus que tous les livres du monde.
Nous recommanderons seulement dans cette opération, beaucoup de douceur et de ménagement en même temps que de promptitude pour ne pas irriter ou fatiguer l’animal qui ferait effort pour retenir son lait.
La plupart du temps, la vachère s’agenouille pour traire ses vaches ; elle serait plus à son aise si elle était assise sur un petit tabouret très bas. On se sert en Suisse d’un petit tabouret qui n’a qu’un seul pied dans son milieu, mais ce pied est terminé par une pointe en fer qui le fixe dans le plancher.
Toutes les vaches ne sont pas également faciles à traire ; pour celles qui se défendent il faut se mettre d’un côté, et traire les deux pis de l’autre côté ; il est même quelquefois nécessaire de soulever un des pieds de devant de l’animal, et de le fixer dans une corde passée autour de l’épaule et du poitrail.
On sait assez combien le lait s’altère promptement, la plus grande propreté est donc indispensable, soit de la part de la fille de basse-cour, soit pour les vases qui servent à la traite.
Le produit d’une bonne vache peut être évalué de dix à quinze litres de lait par jour ; mais on comprend que des circonstances peuvent modifier ce résultat en plus ou en moins. Le lait du matin à plus de qualité que celui du soir, et celui qui provient de la fin de la traite est meilleur que celui du commencement.
Il faudrait un volume entier pour dire tout ce qui intéresse le gouvernement des vaches ; nous sommes forcés de nous arrêter ici pour nous occuper des veaux.
VEAUX.
Il est bien reconnu que le veau qui s’est nourri du lait de sa mère pendant un ou deux mois, offre plus de chances de faire un jour un animal vigoureux ; mais dans les contrées où l’emploi du lait est le premier intérêt, on a imaginé de lui enlever sa nourriture naturelle trois, quatre ou huit jours après sa naissance, en la remplaçant par un mélange d’une portion de lait réservé, ou une forte décoction de foin ; on y ajouté ensuite, à mesure que l’animal se fortifie, du son, de la farine d’orge, des racines coupées en tranches, de la paille hachée, etc., et l’on supprime tout à fait le lait vers le vingtième jour. Souvent aussi au lieu d’une décoction de foin on leur donne une sorte de bouillie composée de lait réservé d’abord, et ensuite d’eau et de morceaux de tourteaux ou de marc d’huile de lin, que l’on fait bouillir pendant un quart d’heure. Tous ces breuvages doivent être donnes tièdes et non froids ou chauds.
Quand le veau est en état de manger du foin, on lui en jette devant lui jusqu’au moment de le faire pâturer. On assure que cette nourriture que l’on peut varier à l'infini, n’a aucun inconvénient pour les animaux qui s’y habituent très promptement.
Dans quelques pays où le lait n’est qu’un produit secondaire, on donne aux veaux destinés à la boucherie, le produit de deux, trois, quatre, cinq et même six vaches ; l’embonpoint du jeune veau suffit, dit-on, pour couvrir et au-delà cette dépense assez considérable.
Les veaux qui ne sont pas vendus à la boucherie à l’âge de six semaines, se conservent pour faire des bœufs de labour.
L’usage général est de castrer ces animaux à l’âge de dix-huit mois à deux ans ; plus tôt cette opération fait quelquefois périr l’animal ; mais ceux qui en réchappent acquièrent plus de taille et de grosseur. Lorsque la castration n’est faite qu’après trois, quatre, cinq ou six ans, elle donne des bœufs plus vigoureux, plus ardents, mais dont la chair est moins bonne et plus dure. Nous indiquerons au mot Castration les différentes manières de faire cette opération que l’on pratique également sur les vaches pour faciliter l’engraissement. Dans ce dernier cas, elle consiste dans l’extraction des ovaires.
BŒUFS.
C’est après la castration, c’est-à-dire de deux à trois ans, qu’il faut commencer à habituer le bœuf au travail. On l’y prépare en l’attachant à l’écurie par les cornes, en l’accouplant avec un vieux bœuf bien dressé, au moyen d’un joug léger, et en ne lui faisant tirer d’abord que le poids de la charrue ; on augmente ensuite progressivement le poids du joug, et on lui fait faire un travail facile jusqu’à ce qu’il soit complètement dressé.
La douceur et les bons traitements sont le moyen le plus sûr de dresser un bœuf : s’il est d’un caractère difficile et méchant, on emploie pour le réduire la patience et le jeune ; on le laisse attelé, ou attaché vingt-quatre et trente-six heures à une charrette pesamment chargée, ou à un arbre ; s’il se jette à terre, on lui passe des entraves, et on le force d’y rester sans manger, jusqu’à ce qu’il s’adoucisse. Mais jamais on n’emploie la violence et les coups, qui ne serviraient qu’à l’aigrir et l’irriter.
Le bœuf se conduit au moyen d’un long bâton pointu par un bout, ou terminé par une pointe en fer, et qui se nomme aiguillon. Cet instrument suffit pour le diriger aussi parfaitement qu’on dirige un cheval avec des rênes. Un bœuf bien dressé doit même entendre son nom, et obéir à toutes les indications de la voix.
Quoique l’allure des bœufs soit généralement lente, on peut, par l’habitude, la rendre plus vive, surtout lorsqu’on les destine à traîner des charrois, ou à labourer des terres légères ; mais on ne doit pas abuser de ce moyen qui est contraire aux allures naturelles de l’animal.
Quand le bœuf est dressé, on lui choisit un compagnon, de force, de taille, d’allures et d’ardeur pareilles, en plaçant toujours à droite celui qui est le plus vigoureux. On doit cependant habituer les bœufs à travailler indifféremment les uns avec les autres.
On attelle les bœufs avec un joug ou avec un collier ; la seconde méthode est moins usitée que la première, et cependant elle semble présenter des avantages que n’a pas l’autre.
Ordinairement les bœufs sont par paire, et travaillent six jours de la semaine ; cependant il est des localités où l’on a soin d’entretenir un bœuf de supplément pour un ou deux attelages qui se reposent ainsi partiellement.
Au printemps, en automne et en hiver, on attelle les bœufs depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq de l’après-midi ; en été on attelle à cinq, quatre et même trois heures du matin jusqu’à neuf, et l’on reprend à deux heures pour ne dételer qu’au coucher du soleil. Pendant les grandes chaleurs, il serait prudent et avantageux, pour les hommes comme pour les animaux, de ne reprendre le travail qu’après quatre heures.
Rare exemple de
bœufs attelés par quatre, gravure extraite du Magasin pittoresque de 1833
Tantôt les bœufs sont nourris à l’étable, et tantôt ils paissent dans des pâturages, travaillant le jour et mangeant la nuit.
La nourriture des bœufs à l’étable consiste en paille et fourrages secs pendant l’hiver ; mais, comme des aliments trop substantiels pourraient exposer les animaux à des maladies inflammatoires, on tempère leur effet par des substances aqueuses, et l’on y mêle des racines coupées par tranches, telles que navets, pommes de terre, betteraves, carottes et autres de même nature. En été, dans la plus grande partie de la France, comme la nourriture consiste principalement en fourrages frais et en aliments aqueux, tels que la luzerne, le trèfle, les légumes de toute espèce, les feuilles d’arbres, etc., il faut suivre un système inverse, et corriger les effets de ce régime trop débilitant pour des animaux de fatigue, par une addition de paille, de foin et même de grain. En Angleterre, dans la ferme royale de Windsor, les bœufs ne mangent jamais de grains, et ils sont renommés pour leur force et leurs bonnes qualités.
C’est surtout lorsque les animaux sont nourris de trèfle, de sainfoin ou de luzerne qu’il est nécessaire d’ajouter les fourrages secs à cette nourriture pour prévenir les accidents qui ne manqueraient pas de résulter de leur goût décidé pour ces substances météorisantes.
Là où les animaux vivent toute l’année dans les pâturages, il est rare qu’il soit nécessaire de suppléer à leur nourriture ; dans la ferme de Windsor, dont nous avons déjà parlé, et où les étables donnent sur les prairies et sont constamment ouvertes, les râteliers restent presque en tout temps garnis de paille et de foin.
Quant à l’objection relative à la perte d’engraissement qui résulte de la divagation des animaux, on a proposé d’y remédier en les assujettissant à un parcage régulier comme celui des moutons ; cette pratique a été suivie avec succès.
Nous n’entrerons ici dans aucuns détails sur l’éducation et le régime des bœufs d’une partie de l’Italie et de l’île de la Camargue, dans le département du Rhône. Ces animaux presque à l’état sauvage, vivent par troupes nombreuses toujours en liberté, se nourrissant des joncs et des plantes marécageuses qui couvrent leurs pâturages, et ne connaissent des soins de l’homme que les combats qu’il leur livre pour s’en saisir, les dompter, les atteler à la charrue ou les livrer à la boucherie.
Les taureaux sauvages dans la Marenne, en Italie, gravure extraite du Magasin pittoresque de 1833
L’habitude la plus générale est de nourrir les bœufs à l’étable et à la prairie ; cette méthode paraît concilier les inconvénients que l’on reproche au séjour habituel, soit dans les pâturages, soit à l’étable.
L’usage du sel dans la nourriture des bœufs est très propre a les entretenir en appétit, et à prévenir les maladies ; on le donne de différentes manières : la meilleure, à notre avis, est d’arroser les fourrages avec de l’eau salée. Cette méthode a le grand avantage de faire disparaître le goût de moisi qu’ils contractent souvent lorsqu’ils ont été engrangés trop humides, et d’obliger le bouvier à délier, à secouer et à poudrer ainsi ces fourrages : précaution toujours utile.
Quant à la boisson des bœufs, elle consiste en eau de rivière, de mare ou d’étang, en ayant soin de corriger la mauvaise qualité de celles qui sont ou trop vives, ou trop froides, par quelques poignées de son, de farine d’orge ou de sel, mais il vaut toujours mieux conduire les animaux à l’abreuvoir que de les abreuver à l’étable. On leur donne à boire en général deux et trois fois par jour, à moins qu’il n’y ait une mare ou un abreuvoir naturel dans leurs pâturages mêmes.
Dans la nourriture des bœufs, il faut éviter avec soin le trop ou le trop peu ; l’un pousse les animaux à la graisse, et les rend incapables d’un long travail ; l’autre produit le même effet en ne les soutenant pas assez. On peut évaluer à trente et trente-cinq livres par jour la quantité de fourrages d’un bœuf nourri au sec ; les deux tiers en foin, et un tiers en paille. On peut porter au double le poids des fourrages verts.
Outre les soins du régime, les bœufs exigent les soins habituels de propreté que nous avons recommandés pour le jeune taureau. Chaque matin le pansement à la main doit être fait, soit avec de la paille nattée, soit même avec l’étrille ; la crinière doit être peignée ; les naseaux, les yeux et le mufle lavés avec une éponge, et les pieds visités avec soin pour en graisser la corne lorsqu’elle est sèche et cassante. Dans les pays où l’usage est de ferrer les bœufs, le bouvier doit visiter la ferrure chaque matin. Le ferrage des bœufs est surtout pratiqué dans les contrées où ils sont employés aux charrois sur les grandes routes, dans les chemins ferrés, et sur le pavé des villes.
Quand ils quittent la charrue, s’ils ont été échauffés par le travail, on évitera, soit de les lâcher dans les pâturages humides, soit de les abreuver immédiatement après ; il serait même bien, et cette pratique est ordinaire chez les propriétaires soigneux, de faire rentrer les animaux à l’étable pour y être bouchonnés, et y rester une heure avant d’être conduits à la prairie.
Ce qui incommode le plus les bœufs dans le travail, ce sont les insectes et les mouches qui s’attachent en grand nombre à ces animaux, et les fatiguent plus que le travail même. Quelques laboureurs sont dans l’usage de leur attacher sur le dos, et principalement sur la tête des branchages bien feuilles que leur marche agite, et qui les garantissent en partie.
Il est difficile de déterminer d’une manière absolue le travail que peut faire en un jour une paire de bœufs. Ceux de la ferme de Windsor labourent un acre de terre ordinaire. La charge commune de deux bœufs attelés est de douze cents. Du reste, on sent combien ces données doivent être modifiées par toutes les circonstances, soit locales, soit accidentelles, qui influent généralement sur des résultats de ce genre. Le travail des bœufs commence à deux ans, et se prolonge jusqu’à huit et dix ans : âge après lequel l’animal commence à engraisser naturellement, et à devenir par ce motif moins capable de supporter la fatigue.
Article extrait de Dictionnaire universel de commerce de Jacques Savary des Bruslons, publié en 1723
BŒUF. Taureau qu’on a châtré, pour l'engraisser, ou pour le rendre plus docile à porter le joug pour le labourage, ou pour le charroi.
Quoique le Bœuf, si utile à l’homme, soit assez connu dans toutes les parties du monde, et surtout en Europe, pour ne pas s'arrêter à en faire la description ; on a cru cependant à propos de ne pas l’oublier dans un Dictionnaire de Commerce, à cause de la quantité de diverses marchandises qu'on en tire, et dont il se fait un très grand négoce.
Il y a en France des Marchands fort riches, qui ne font d’autre commerce que de Bœufs, soit pour le tirage, soit pour la boucherie. Les premiers les achètent tout jeunes, et les vendent aux Laboureurs et aux Voituriers. Les autres les vont chercher dans les Provinces, où ils sont engraissés, pour les faire conduire ensuite dans les foires et marchez des Villes et Bourgs du Royaume, où ils les vendent aux Bouchers, qui les tuent, pour en débiter la chair à la livre, ou à la main, dans leurs étaux particuliers, ou dans les boucheries publiques.
Avant que de passer aux diverses marchandises qu’on tire du Bœuf, on va donner ici quelques avis, dont les Marchands de Bœufs peuvent avoir besoin pour leur commerce.
Les Bœufs ne vivent ordinairement que jusqu'à quatorze ans. A trois, ils font propres à tirer; et à dix, il faut les retirer du chariot, ou de la charrue, pour les mettre à l’engraissement.
L'âge des Bœufs, aussi bien que l’âge des chevaux, se connaît aux dents. A dix mois, ils jettent leurs premieres dents de devant, et en poussent d'autres plus larges, et moins blanches. A dix-huit mois, une autre partie de leurs dents de lait tombe encore, et le reste dans les dix-huit mois qui suivent ; en sorte qu'à trois ans toutes leurs dents sont égales, et qu’ils n'en manquent plus. Quelques - uns croient qu’on peut voir aussi l’âge du Bœuf sur les cornes, et que chaque anneau qui se forme à leur extrémité, indique chacune de leurs années ; mais bien des Marchands de Bœufs très habiles, estiment cette connaissance moins sure que celle des dents, et ne s'y fient guère.
Les Bœufs destinés au tirage, doivent être faciles à manier, d’une taille mediocre, et raisonnablement chargés de graisse.
Quoiqu’il y ait des Bœufs excellents de tout poil, les Marchands y doivent néanmoins faire attention.
Le poil doux, luisant et épais est une bonne marque : le poil rare, mal uni et rude, en est au contraire une mauvaise.
Le Bœuf, sous poil tout noir, est lourd et nonchalant ; mais c’est un signe de vigueur, s’il a quelque blancheur aux pieds ou à la tête.
Le poil rouge est le meilleur ; cette couleur dénotant du feu et de l’ardeur : on estime le bai à peu près de même ; du blanc aux extrémités ne gâte rien ni à l'une, ni à l’autre couleur.
Les Bœufs, sous poil brun, sont médiocres, leur ardeur ne durant pas longtemps ; le poil moucheté est encore moins bon ; le blanc et le gris ne valent rien ; en récompense, ce sont les meilleurs pour engraisser, à la réserve du poil gris, qui ne réussit pas même à l’engraissement.
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Marchandises propres au commerce que l'on tire du Bœuf.
La chair de Bœuf se sale, pour la pouvoir transporter plus facilement, sans se corrompre, dans les pays où elle peut être vendue avec avantage.
Les Marchands des différents ports du Royaume, particulièrement ceux de Saint-Malo et de Nantes en Bretagne, en font des cargaisons considérables, pour la Martinique, et autres îles Françaises de l’Amérique : ils la tirent presque toute d’Irlande, d’où elle leur est envoyée par barils, ordinairement du poids de deux cents livres.
Les peaux de Bœufs, qu’on appelle autrement cuirs, se vendent en poil ; c’est-à-dire, ou verts, ou salés ; ou secs, et sans poil ; ce qui comprend les cuirs tannés, ceux apprêtés à la façon de Hongrie, et ceux passés en huile, à la manière des Buffles.
Outre les cuirs de Bœuf qui sont du cru de France, on en apporte de secs, en poil, de presque tous les lieux où les Français vont négocier, tant dans l’Orient, que dans l’Occident ; surtout des Indes, du Pérou, de Barbarie, de Madagascar, du Cap vert, du Sénégal, de Moscovie, et d'Irlande.
Les Marchands de Rouen, entre autres, font un grand négoce de ceux de Barbarie et de Saint-Domingue, qui leur sont apportés par
les vaisseaux Français qui reviennent des Indes Occidentales.
Il se fait aussi un grand négoce de peaux de Bœufs à Constantinople, d’où les Français, Anglais, et Hollandais en tirent, année commune, jusqu’à cinquante mille. Elles sont de trois sortes. Les unes, qui sont les meilleures, s’appellent les premiers Couteaux ; ce sont celles des abattis qui se font depuis Juin jusqu’à Novembre. Les secondes sont les Patrements, qu’on lève de dessus les bêtes en Novembre et Décembre. Les troisièmes se nomment Acrements, qui viennent de la Mer noire, et qui, pour la bonté, approchent des premiers Couteaux.
Les os de Bœufs s'emploient par les Tourneurs, Tabletiers, Couteliers, et Patenôtriers, dans leurs différents ouvrages. On les brûle aussi, pour faire ce qu’on appelle du noir d’os, qui sert à la peinture, et à faire l’encre pour imprimer en taille-douce.
Des rognures des peaux, des cartilages, des pieds, et des nerfs bien bouillis, et dissous dans l’eau, se fait la colle forte, soit celle qu’on fabrique en France, soit celle d’Angleterre, ou de Flandre.
Le poil de leur queue, le plus long, après avoir été cordé et bouilli, pour le friser, fournir une partie du crin que les Tapissiers, et autres Ouvriers emploient ; et du poil court, on en fait de la bourre, dont on rembourre plusieurs meubles de peu de conséquence, des selles pour monter à cheval, des bats de mulets etc. Il se consomme aussi beaucoup de poil de Bœuf à Rouen, et à Elbeuf en Normandie, pour les Manufactures de Tapisseries que l’on nomme bergames.
La corne de Bœuf, soit de la tête, soit des pieds, s’amollit par le feu, et se prépare pour quantité d’ouvrages, comme peignes, tabatières, lanternes, écritoires de poche, étuis à cure-dents, etc.
Le nerf qui se tire de la partie génitale du Bœuf, étant sec et préparé en manière de filasse, s’emploie par les Selliers, et Faiseurs de battoirs de jeu de paume, qui l'achètent des Marchands Quincailliers.
Les boyaux de Bœuf bien dégradés et préparés, s'appellent Baudruche ; ils servent à faire des moules pour battre l’or et l’argent, pour le réduire en feuilles propres à la dorure.
On tire aussi des graisses du Bœuf, un suif assez bon pour faire de la chandelle ; ou pour préparer certains cuirs. Le meilleur est celui qu’on nous apporte d’Irlande.
Enfin, jusque dans le cœur, et dans la vessie des Bœufs, ou plutôt dans la vésicule de leur fiel, on trouve quelque chose d'utile au commerce. Le cœur fournit un cartilage assez semblable à celui qu’on tire du cœur de cerf: on l’appelle, Os de cœur de Bœuf, et on le substitue quelquefois à celui du cerf, quoique peut-être mal à propos.
Le fiel même du Bœuf sert aux Détacheurs, et à plusieurs autres Artisans, qui s'en servent à divers usages.
Pour la vessie, ou vésicule du fiel, elle renferme très souvent une pierre, de la grosseur, et de la figure d’un jaune d’œuf, mollasse, et par écailles, comme le bézoard, aussi en porte-t-elle quelquefois le nom, mais plus ordinairement celui de Pierre de fiel.
Les Bœufs, gras ou maigres, venant en France, des pays étrangers, payent de droits d'entrée 3 livres. la pièce ; et ceux de même qualité, venant des Provinces du Royaume ou les Aides n'ont point de cours, seulement vingt sols.
Les Bœufs et langues salées, de toutes sortes, payent quarante sols du cent pesant de droits d'entrée.
Les droits de sortie pour toutes sortes de Bœufs gras petits, ou maigres, sont de 2 livres 10 sols la pièce.
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